ESSAIS & NOUVELLES 
 
Une petite histoire en attente de finalisation et de remarques...j'attend vos critiques...

 

LE CLOWN TRISTE
 
 
 
   On avait installé l’immense chapiteau un peu à l’écart de la ville, dans un grand champ où somnolaient paisiblement les gigantesques camions servant au matériel et au transport des animaux;
Dans la pénombre du jour qui s’achevait, on percevait le murmure de la musique, entrecoupé de bruit de voix de Monsieur Loyal émanant d’un micro.
 
Le cirque battait son plein, la grande fête venait de commencer. Des spots énormes crachaient leurs jets de lumière crue sur la piste tandis que la musique s’insinuait dans chaque recoin de la tente, assourdissant la centaine de spectateurs venue acclamer les artistes.
 
Les lions avaient envahi l’arène sablée, dirigés par le claquement du fouet du dompteur. La foule retenait son souffle, effrayée par les rugissements rauques des félins et le crissement étouffé de leurs pattes sur le sol.
Le numéro de dressage, servant d’ouverture à la représentation, fit place aux funambules, qui marchaient allégrement sur leur fil comme des libellules gracieuses virevoltant sur les roseaux.
Les artistes se succédèrent sous les acclamations du public, qui, bien que satisfait et heureux des prestations qu’on leur offrait, attendait impatiemment le clou du spectacle, la vedette de la troupe, le clown Bobo.
 
Bobo faisait la renommée du cirque Anzani qui affichait complet tout les soirs, car les gens, et surtout les enfants venaient pour voir le clown légendaire.
 
Enfant de la balle, né d’une famille illustre de clowns, Bobo avait été bercé par les acclamations et les rires du public déclenchés par les Solini, ses parents, lors de leurs pitreries désopilantes.
Les Solini avaient acquis une telle renommée à travers toute l’Europe qu’une chaine de télévision leur avait proposé une émission hebdomadaire, récompense ultime pour ces gens du voyage partis de rien.
 
Naturellement, Bobo imita ses parents qui l’initièrent au dur métier qui consiste à amuser les gens ; Maladroit de nature, il choisit d’être auguste, un rôle qui lui convenait à merveille, et se mit à adopter les mimiques et les effets de ses deux parents tout en y ajoutant sa touche personnelle.
 
Le résultat fût si incroyablement drôle qu’à peine adolescent, ses parents l’intégrèrent à leurs numéros, et devinrent Bobo et les Solini.
Il conquit aussitôt le cœur des téléspectateurs, devenant la coqueluche des petits et des grands ; l’émission des Solini était attendue chaque semaine avec impatience, apportant sa bouffée de bonne humeur et ses fous rires spontanés.
Bobo grandit et s’éleva dans cette ambiance médiatique, insouciant et heureux du bonheur qu’il procurait chaque semaine.
C’est son côté drôle et grand enfant qui lui firent rencontrer Lisa, une ravissante trapéziste qu’il épousa quelques mois après.
De cette heureuse union naquit leur seul enfant, un fils; Bobo était à l’apogée du bonheur.
Les années passèrent, les Solini prirent une retraite bien méritée, tandis que Bobo rejoignit le cirque Anzani avec sa famille, à la plus grande joie du directeur du cirque conscient de ce que la notoriété du célèbre clown allait apporter à ses représentations.
Les raisons de Bobo étaient simples, il aspirait à plus de tranquillité afin de profiter pleinement de sa femme et de son enfant.
 
Les cracheurs de feu venaient d’achever leur numéro, le présentateur allait annoncer le clou du spectacle d’une seconde à l’autre.
 
-         « ….l’auguste le plus célèbre du monde, celui que vous attendez tous…faites un triomphe à……Bobo le clown ! »
 
En coulisse, Bobo attendait son tour avec anxiété, comme à chaque représentation.
Dans sa grande veste à carreau jaune et rouge surmontée d’un énorme nœud papillon vert pomme, il était resplendissant de couleur; quelques gouttes de sueurs perlaient sous son maquillage excessif blanc, le tour de sa bouche généreusement enduit de rouge vif formait un incroyable sourire et contrastait avec le orange de sa perruque.
Il mit en place l’inévitable nez rouge et se sentit prêt à affronter son public.
 
A la fin de l’annonce de Monsieur Loyal, Bobo surgit dans la lumière sous les hurlements enthousiastes de la foule venue l’acclamer. Ses souliers vernis long de soixante centimètres entravaient sa démarche et lui donnaient une allure gauche qui déclenchait l’hilarité; comme à chaque fois, un lacet de ses incroyables chaussures était dénoué et, fatalement, Bobo marchait dessus et se retrouvait par terre, l’air ahuri, faisant redoubler les applaudissements.
 
Son numéro était bien rodé, et avec l’expérience, il connaissait parfaitement les attentes de son public.
Empêtré dans ses souliers géant, il tenta de se relever en vain; cette partie de sa prestation était la préférée du public, il en jouait donc et la prolongeait volontairement, sûr d’obtenir le résultat voulu, faire rire…
Tant bien que mal, il parvint à se relever et se planta au milieu de la piste, les jambes légèrement écartées. Il planta les mains au fond des poches de sa vaste vareuse en oscillant d’avant en arrière, l’air fier d’avoir réussi à se remettre droit sur ses jambes.
Son visage arborait une expression ahurie, ses yeux ronds dont le droit avait le sourcil relevé dévisageaient l’assemblée d’une manière si crédule que les rires fusaient de toutes parts.
 
Les mimiques du visage avaient de l’importance dans ses prestations ; il ne suffisait pas d’entrer en scène déguisé de façon grotesque pour faire rire les gens ; chaque phase de son numéro était soigneusement étudiée et répétée, sa longue expérience  lui avait appris à le maitriser parfaitement au fil des ans.
 
Il fit mine de sortir les mains de ses poches ; celles-ci restèrent collées au fond. La foule n’arrêtait pas de rire à gorge déployée, et les rires redoublèrent encore quand il parvint à décoller ses mains en arrachant un pan de sa veste.ses bras pendaient stupidement le long de son corps avec une moitié de veste dans une main et l’autre dans l’autre main.il s’approcha des spectateurs sur le bord et leur demanda de tirer chacun sur l’un des morceaux qui l’entravait. Le tissu résista un instant puis céda brusquement, renvoyant Bobo à sa position première, le postérieur dans le sable. Le public était déchainé, il flottait sous le chapiteau un parfum de détente et de joyeuse humeur. Il réitera ses effort pour se relever, toujours empêtré dans ses souliers ridicules et y parvint de nouveau. Il reprit sa position initiale, jambes un peu écartées et grimaces du visage. Puis son sourire s’élargit, accentué par le maquillage, et contempla la foule devenue hystérique ; son pantalon venait de glisser à ses chevilles, dévoilant un caleçon ample parsemé de fleurs.
C’était le final de son numéro, il remonta son pantalon et entreprit de trottiner autour de l’arène, les mains à la taille retenant toujours son pantalon, pour saluer son public.
Les spectateurs debout lui firent une ovation quand il se dirigea vers la sortie. Il s’arrêta, se retourna et leur envoya des baisers de la main. Puis il disparut dans les coulisses.
 
Le miroir lui renvoyait l’image d’un fantaisiste heureux. Ses yeux, pétillants quelques minutes auparavant, semblaient éteints. Il avait encore rendu les gens heureux ce soir, et lui-même, l’espace d’un représentation, avait partagé leur bonheur communicatif. Mais seul dans sa loge, lové dans son peignoir, son reflet lui assénait la triste réalité, celle d’un homme affligé, sans masque, sans paravent derrière lequel se refugier. Et comme tout les soirs, après chaque spectacle, les souvenirs refoulés réapparaissaient, insensibles au temps qui s’écoule.
 
Lisa, sa femme, était une trapéziste de talent, et son principal admirateur était son fils ; il avait grandi et évolué sous l’œil attentif maternel. Quand sa mère estima qu’elle ne lui enseignerait plus grand-chose, il eut son propre numéro et fut incorporé au spectacle.
 
Bobo et Lisa suivait toujours dans les coulisses les acrobaties périlleuses de leur progéniture, anxieux mais fiers.
 
C’est de ce poste d’observation, main dans la main, que leur vie s’anéantit ; la chute fut rapide, suivie d’un choc abominable quand le corps toucha le sol et ne bougea plus.
 
Noyé dans ses souvenirs, Bobo se démaquille d’un geste machinal. Des grosses larmes roulent sur ses joues.


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